DESTINÉE À LA PRODUCTION ET À LA DISTRIBUTION DE FORMATS ET DE PROGRAMMES TÉLÉVISUELS, MEDIA RANCH SOUFFLE SES DIX BOUGIES. LA COMPAGNIE, FONDÉE EN 2008 PAR SOPHIE FERRON, S’EST TAILLÉE UNE PLACE AU QUÉBEC, MAIS AUSSI À L’INTERNATIONAL ALORS QUE LA FONDATRICE ET PRÉSIDENTE A SU DÉVELOPPER UN VASTE RÉSEAU DE CONTACTS SERVANT À FAIRE RAYONNER SON CATALOGUE À L’ÉCHELLE PLANÉTAIRE. POUR SOULIGNER CET ANNIVERSAIRE, LA FEMME D’AFFAIRES REVIENT SUR SON PARCOURS AINSI QUE SUR L’ÉVOLUTION DE L’ENTREPRISE AVEC QUI FAIT QUOI.

Productrice de deuxième génération, Sophie Ferron a suivi les traces de son père René Ferron, à qui l’on doit notamment « Coup de foudre » et la série « Caméras ». Après des études au Collège Jean-de-Brébeuf en lettres et communications et avoir occupé quelques postes au sein de Ferron International, l’entreprise familiale, elle poursuit dans le domaine de la production. C’est en 1997, lorsqu’elle est directrice de la production à Canal Vie que sa carrière prend un tout autre envol. « Je faisais partie de l’équipe des débuts, avant même que la chaîne soit en ondes. Par la suite, j’ai été vice-présidente des services de distribution chez Technicolor. J’étais la seule femme à travers le monde dans le groupe Technicolor qui était dans les opérations. C’était vraiment tout un défi », raconte-t-elle.
En 2003, Sophie Ferron retourne en télévision en devenant directrice générale de l’exploitation et productrice exécutive à l’information pour TQS. Jusqu’en 2005, elle s’occupe de tous les services techniques en plus d’être à la tête du réseau au moment où Cogeco venait de faire l’acquisition de la défunte chaîne. La productrice décide finalement de faire le saut et d’oeuvrer à son propre compte. Le 1er septembre 2008, elle fonde Media Ranch inc.
« J’ai voulu retourner à mes premières amours, c’est-à-dire le contenu. Quand j’étais dans l’exploitation, j’étais une gestionnaire aguerrie, mais je me trouvais un peu loin du contenu. Aussi, je venais de signer avec Endemol pour leur distribution au Canada français », se rappelle l’entrepreneure. Elle est donc à ce moment l’agent exclusif du géant néerlandais pour le marché canadien et francophone, mais elle produit aussi « Wipeout » pour un diffuseur encore inconnu, dans une espèce d’entre-deux, soit entre la fin de TQS et l’arrivée de V Télé. « Je devais aller tourner en Argentine avec 22 personnes pour chaque épisode. C’était une grosse production et un gros casse-tête », se souvient la productrice.
Dix ans plus tard, Sophie Ferron a produit de nombreuses émissions dont « Dans la cuisine », « Vraies histoires de sexe », « Les persévérants » et « Parcomètre blues ». Elle détient également des bureaux à Amsterdam et à Los Angeles où elle exporte ses propres formats. D’ailleurs, en 2016, l’entreprise crée officiellement la division Media Ranch Distribution avec comme but de mettre en valeur les talents québécois sur la scène internationale. Sophie Ferron y représente notamment les projets des Productions J et Kenya. Face à la demande grandissante, l’entente avec Endemol Shine Group se termine et la présidente fondatrice effectue le grand saut en distribution.
Au cours de ces dix dernières années, l’un des projets les plus marquants selon la présidente de Media Ranch demeure « À table avec l’ennemi », un format norvégien adapté pour TV5 où pendant six épisodes d’une heure le journaliste Frédérick Lavoie et le chef Charles-Antoine Crète réunissaient le temps d’un repas des ennemis jurés en zones de guerre.
« C’était la première vente pour ce format à l’extérieur de la Norvège. En plus, il s’agit vraiment d’une idée exceptionnelle. C’est une production dont je me fais encore parler aujourd’hui et c’est quelque chose qui serait encore plus pertinent aujourd’hui, explique-t-elle. Pour moi, cela a été une de mes productions les plus laborieuses, mais certainement une des plus satisfaisantes. J’aimerais beaucoup repartir pour en faire de nouveaux épisodes. »
Elle se souvient également de la cinquième saison de « Baggage Battles », tournée en Amérique du Nord pour la chaîne Scripps Network UK où des brocanteurs professionnels misaient sur des objets non réclamés à travers le monde dans l’espoir de dénicher quelques trouvailles. « D’un point de vue d’affaires, cela a représenté un énorme défi et m’a amenée complètement ailleurs dans le côté international de Media Ranch. »
Au fil de ces dix années, l’équipe de Media Ranch a bien évidemment évolué. Le bureau d’Amsterdam estchapeauté par Tanja van der Goes depuis plus d’un an Mais Sophie Ferron s’est d’abord entourée de Viviane Rheault, productrice adjointe, qui a joint les rangs de la compagnie en 2010. Première employée à être au bureau chaque jour au côté de la présidente et à n’être attachée à aucune production spécifique, la nouvelle recrue, diplômée en administration des affaires revient alors de Las Vegas après y être partie pendant huit ans. Au bout du compte, sa protégée est demeurée fidèle et n’a certainement jamais manqué de travail. « Son rôle évolue avec le mien. C’est la personne la plus proche de moi. Elle suit tous mes dossiers. Elle m’accompagne dans tous mes projets », précise la productrice.
« J’aime les gens ouverts, flexibles, passionnés et qui connaissent la télé, poursuit-elle à propos de son équipe. Il faut être ouvert. Il ne faut pas penser que les choses vont toujours demeurer pareilles. Parfois, il faut être réceptif à la critique et aux commentaires. Ce n’est pas parce que c’était bon et que ça marchait il y a un an que ce sera le cas aussi dans trois ans. Il faut se tenir informé ». La femme d’affaires de 51 ans a de la chance puisque comme il s’agit de sa propre entreprise, elle peut s’entourer d’êtres qui lui ressemblent.
C’est d’ailleurs ce qui a permis de concrétiser son partenariat avec Vivianne Morin, directrice générale de Salvail & Co quelques années plus tard, après une collaboration amorcée avec la représentation de « Les recettes pompettes » à l’étranger. Sophie Ferron accepte de faire l’acquisition des actifs de Salvail & Co et la directrice générale de l’entreprise se trouve, à elle, mais aussi à plusieurs de ses employés, un nouveau toit, Media Ranch TV, où elle devient l’actionnaire minoritaire de cette nouvelle entitié.
Moins d’un an plus tard, Vivianne Morin est nommée directrice générale et vice-présidente aux opérations du Groupe Entourage qui acquiert ainsi Media Ranch TV. « Je suis une femme d’affaires et l’offre était bonne, soutient Sophie Ferron à propos de la vente de cette division. Vivianne retourne dans le domaine du spectacle dont elle s’ennuyait. »

LE QUÉBEC, GRAND ABSENT DE L’EXPORTATION TÉLÉVISUELLE
Très active sur la scène internationale depuis plusieurs années et ayant déployé son entreprise autour de cette expertise, la présidente de Media Ranch constate que les productions télévisuelles québécoises sont encore très peu vendues à l’étranger autant en acquisition (émissions déjà produites) qu’en format. Même si elle s’explique mal cette situation, Sophie Ferron croit que les producteurs et distributeurs n’ont tout simplement jamais développé ce réflexe.
« Ce n’était pas naturel. Nous avions un star-système très fort, les cotes d’écoute étaient très bonnes et la demande était importante. Maintenant, les gens se tournent peu à peu vers l’international, mais cela aurait dû être fait depuis longtemps. Il faut prendre notre place et il n’y a pas de raison pour ne pas le faire. »
Au sein de son équipe, Sophie Ferron tente justement de sensibiliser ses troupes à cette réalité. Elle les éduque sur la manière de développer un format et leur explique la façon de créer une bible de production, des pratiques qui ne sont pas communes au Québec.
Lorsqu’elle a officiellement fait le grand saut en distribution, la présidente de Media Ranch a mis la main sur un impressionnant catalogue dont certains des titres appartiennent à d’autres productrices comme Julie Snyder et Chantal Lacroix. « Nous sommes concurrentes dans un territoire et nous sommes partenaires dans un autre. C’est de cette façon que les affaires internationales fonctionnent,affirme-t-elle. Je suis fière lorsque les gens me font confiance et qu’ils voient que nous pouvons être à la fois concurrents et partenaires. C’est ce qui est appelé à changer : qu’on puisse voir qu’il est nécessaire de s’entraider pour réussir à l’échelle internationale.»
PRODUIRE POUR DISTRIBUER
À l’heure actuelle, Sophie Ferron produit « Goldwater à l’écoute », un format pour lequel elle est déjà en discussion avec différents acheteurs à l’extérieur du Québec. Dans cette nouvelle émission, l’indomptable Anne-France Goldwater tentera d’aider différents couples à résoudre leurs problèmes, qu’il s’agisse d’une séparation ou d’une situation problématique qu’ils tentent de prévenir. Pour chacun des treize épisodes, l’avocate sera accompagnée d’un psychologue qui prodiguera les meilleurs conseils aux participants.
Autrement, la présidente révèle développer 31 autres projets. Son attention est actuellement portée sur les choix à effectuer parmi les titres à travailler en priorité. Car le modèle d’affaires de Media Ranch se définit par une production permettant une distribution. Chaque projet est pensé, réfléchi et développé comme un format, rappelle Sophie Ferron. « Je ne veux pas produire pour garder mes équipes occupées, mais bien pour vendre à l’étranger et détenir une propriété intellectuelle. Lorsque je représente d’autres titres qui ne sont pas les miens, ces derniers sont complémentaires à mon catalogue », précise-t-elle.
ET L’AVENIR ?
Sophie Ferron est très confiante. Elle est convaincue que Media Ranch se positionnera d’ici quelques années comme un joueur important dans la propriété intellectuelle. Mais attention, elle ne vise pas à transformer son entreprise en une sorte de géant, mais bien à se définir comme une référence détenant un catalogue pertinent que les acheteurs vont désirer acquérir.
Et à l’ère du numérique, la productrice ne fait aucune distinction entre les plateformes de diffusion. Ce qu’elle propose demeure la même chose : du contenu. « Les spectateurs vont suivre la bonne histoire. Si c’est bien raconté, ils y vont, peu importe c’est où. Ils vont te trouver et te voir. C’est simplement le récit qui est raconté différemment selon la plateforme, mais au bout du compte cela demeure du storytelling », évalue-t-elle. À ce propos, la présidente de Media Ranch vient d’aller pitcher quelques projets à Apple alors que la plateforme de visionnement du géant informatique n’est pas encore nommée, ni annoncée, signe d’un marché en mutation constante.
UN CONSEIL À DONNER ?
Et qu’aviserait Sophie Ferron à une jeune productrice qui désire se lancer en affaires ? De déployer sa persévérance, son audace, son talent et son écoute. « Il ne faut pas croire que l’on sait tout. Il faut entendre ce que l’on nous demande, être préparée et travailler, déclare-t-elle. Il ne faut pas avoir peur du rejet et du non. Il faut aller chercher le oui. »