En octobre dernier, quand Sophie Ferron, la présidente de Media Ranch est partie au MIP
COM, le grand marché international des contenus télévisuels qui a lieu chaque année à Cannes, la productrice-distributrice avait dans ses valises plusieurs concepts à vendre sur les marchés étrangers. Un d’eux était Les Recettes pompettes, l’émission d’Éric Salvail.
Tipsy Recipes en anglais.
On est le 16 octobre.
Le 18 octobre, La Presse publie un article sur les graves inconduites sexuelles de l’animateur et concepteur de l’émission.
Elle est à son stand, où il y a une immense affiche avec la photo de la vedette déchue, quand on lui texte la nouvelle.
Oh !
« Il y avait beaucoup d’intérêt pour l’émission », raconte-t-elle. Mais une fois l’histoire sortie, Sophie Ferron est obligée de recontacter tous les intéressés pour leur dire ce qui se passe. Et sur-le-champ, la réalité s’impose. Le concept ne marche plus du tout. Ce n’est plus drôle. Le projet est mis au rancart.
Mais rapidement aussi, la distributrice reçoit un texto de Vivianne Morin, la directrice de Salvail & Co, lui demandant si elle est intéressée à acheter les autres avoirs de la maison de production, en partenariat avec elle.
La femme d’affaires n’hésite pas longtemps. Moins d’une semaine après la publication du reportage qui a tout déclenché, l’entente d’achat à deux est annoncée.
On ne sait pas quel est le montant de la transaction, mais on sait que les productions sont maintenues, dont Les Échangistes. Et que cette nouvelle division de Media Ranch appelée Media Ranch TV, possède maintenant tous les projets en marche et les concepts en développement.
Sophie Ferron est ravie de cette nouvelle alliance avec Mme Morin, une comptable, spécialiste des opérations, qui complète l’expertise de la boîte. « J’aurais aimé travailler avec elle avant, mais je me disais toujours que je n’en aurais pas les moyens », dit Sophie Ferron.
La productrice estime avoir sauvé ainsi une quarantaine d’emplois.
« Et maintenant, dit-elle, on espère en créer. »
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Connaissiez-vous Sophie Ferron ?
Pas moi, je l’avoue, avant de lire sur ce nouveau partenariat.
Pourtant, l’entrepreneure que je rencontre en entrevue dans un café de la Petite-Bourgogne n’est vraiment pas une nouvelle venue dans le monde des affaires et plus particulièrement, dans l’univers de la télé où elle a pratiquement tout fait. La marmite des médias électroniques ? Elle y est tombée enfant.
« Oui, je viens d’une famille d’entrepreneurs, même d’entrepreneurs en série », confie la Montréalaise de 51 ans, qui n’a pas parlé aux médias depuis la transaction. « Et j’ai grandi dans le monde de la télé. »
Son père, René Ferron, au départ journaliste à Radio-Canada, est devenu producteur télé et a fait carrière ensuite dans l’univers de la diffusion et de la production en lançant plusieurs entreprises et projets. C’est à lui notamment qu’on doit plusieurs des succès de l’ancienne chaîne Télévision Quatre-Saisons comme la série des « Caméras » animée par Madeleine Roy dans les années 90. Grand succès à l’époque. Il y a eu Coup de foudre aussi.
Sa mère, Lucie Pépin, n’était pas productrice, mais politicienne. Elle fut notamment sénatrice, mais d’abord députée d’Outremont à la Chambre des communes, élue après le départ de Marc Lalonde en 1984.
Bref, Sophie Ferron n’est pas née dans une famille effacée. Ni dans une famille qui a peur des défis. Et cette mère de deux étudiantes dans la jeune vingtaine, qui sont sur le chemin des affaires et de la production elles aussi, en a relevé quelques-uns.
Media Ranch, son entreprise, elle l’a fondée en 2008, peu après son divorce. Sa carrière dans le monde des médias, elle l’a lancée après des études à Brébeuf en communication, mais aussi à McGill où elle étudie – sans obtenir son diplôme de premier cycle – les sciences politiques, en se disant que c’est mieux d’avoir quelque chose à dire que d’étudier comment les dire. Un début de parcours professionnel très éclectique la mène autant à faire de la recherche pour feu Jean Lapierre à la radio qu’à participer au lancement de Canal Vie, en passant par différents postes à TQS et Technicolor. « J’ai tout fait », dit-elle, notamment à ses débuts quand elle travaillait avec son père. Régie, réalisation… « J’ai même fait des voix, vidé des cendriers… »
Toutes ces expériences, explique-t-elle, lui permettent aujourd’hui de bien comprendre les besoins concrets des productions.
En 2008, quand elle décide de se lancer en affaires, elle cherche un nom pour son entreprise et demande à tous ses contacts sur son BlackBerry de lancer des idées. Sachant qu’elle rêve d’avoir un jour un ranch pour y regarder des chevaux gambader, paisibles et libres, on lui propose Media Ranch. Le nom reste, même s’il n’a pas grand-chose à voir avec l’activité principale de Sophie à l’époque : être l’agent au Québec du géant néerlandais Endemol qui a fait son nom en inventant et en commercialisant des concepts télé déclinables dans toutes sortes de marchés et cultures. Big Brother, Loft Story, Star Académie, Fear Factor, Les enfants de la télé, Le banquier… Toutes des émissions construites à partir de formats signés par la société des Pays-Bas.
Media Ranch produit aussi des émissions et maintenant, depuis un an, depuis aussi la fin de l’entente avec Endemol, distribue ses propres concepts, avec des bureaux à Los Angeles et à Amsterdam. C’est Sophie Ferron, par exemple, qui a vendu Occupation double en France, une émission créée au Québec, immense succès, qui n’avait encore jamais été reprise ailleurs avant que la spécialiste du format s’en mêle.
Selon la distributrice, l’avenir est sur les marchés internationaux, sur le rayonnement ailleurs de notre savoir-faire.
Et son plan d’affaires, c’est de poursuivre les projets qu’elle vient d’acheter, poursuivre le plan de croissance de sa division de distribution. « Dans cinq ans, je me vois avec une belle business basée à Montréal, dit-elle. Une belle business de distribution de classe mondiale. »